Revue de littérature SFCO- Octobre 2016- Pr. Philippe Lesclous
Postoperative bleeding risk for oral surgery Under continued rivaroxaban anticoagulant therapy
Hanken H, Gröbe A, Heiland M, Smeets R, Kluwe L, Wikner J, Koehnke R, Al-Dam A et Eichhorn W.
Clin Oral Invest 2016, 20 :1279-82.
Résumé :
L’usage grandissant des anticoagulants oraux directs (AOD) et en particulier du rivaroxaban, un inhibiteur direct du facteur Xa, pose le problème de la prise en charge des patients traités en chirurgie orale car, à ce jour, il n’existe aucune recommandation internationale consensuelle. Interrompre ou continuer le traitement ? Tous les auteurs ne sont pas d’accords. Comme, le risque hémorragique n’est pas significativement augmenté en chirurgie orale par l’usage des agents antiplaquettaires (pris comme référence), et comme les données concernant la prise en charge des patients traités par AOD font largement défaut, les auteurs proposent d’évaluer ce risque chez des patients traités par rivaroxaban chez lesquels une intervention de chirurgie orale a été pratiquée, sans interrompre le traitement AOD. Il s’agit d’une étude rétrospective évaluant les suites opératoires hémorragiques sur une période de 2 semaines suite à des avulsions dentaires avec ostéotomie ou après mise en place implantaire lors de 52 actes réalisés chez des patients traités par rivaroxaban 20mg/j (dont 2 en bithérapie avec de l’acide acétylsalycilique) et de 285 actes réalisés chez des patients contrôles non traités. Les critères d’exclusion sont bien mentionnés et pertinents. Toutes les interventions se sont déroulées sous anesthésie locale avec vasoconstricteur. L’hémosatse primaire était assurée par la mise en place d’une éponge collagénique résorbable dans l’alvéole d’avulsion puis des sutures avec du fil non résorbable. Une antibioprphylaxie monodose était prescrite chez les patients à haut risque d’endocardite infectieuse mais pas chez les autres ; le traitement antalgique reposait sur une prescription d’ibuprofène 400 mg toutes les 6 heures pendant 3 jours. Le suivi était assuré à 1, 3, 7, 10 et 14 jours postopératoires. Une hémorragie postopératoire était définie comme un événement nécessitant une hémostase supplémentaire. Le taux d’hémorragie postopératoire était inférieur à 1% dans la population contrôle alors que ce risque était significativement augmenté à 11,5% dans la population traitée par rivaroxaban. Il est à noter que tous les évènements hémorragiques sont survenus après une extraction avec ostéotomie et jamais après la mise en place d’un implant, mais il est vrai que ce type d’acte était peu fréquent (10 actes/337). Chez les patients traités par rivaroxaban, ces saignements s’échelonnaient sur 6 jours alors que ceux enregistrés chez les patients contrôles étaient survenus le jour même de l’intervention. Parmi les saignements apparus chez les patients traités par rivaroxaban, le tiers a été contrôlé par compression simple tandis que le reste nécessitait le recours à une colle biologique et à des sutures supplémentaires. Ces évènements n’étaient pas corrélés aux nombres de dents à avulser puisque la moitié d’entre eux sont survenus lors d’avulsions unitaires. En conclusion, cette étude montre un sur-risque hémorragique chez les patients traités par rivaroxaban lors d’intervention de chirurgie orale nécessitant une ostéotomie sous anesthésie locale avec vasoconstricteur. Ce sur-risque est maîtrisé par une procédure d’hémostase locale conventionnelle. Dès lors, il semble préférable de ne pas interrompre le traitement anticoagulant eu égard au risque thromboembolique que cela génère et mettre en œuvre de manière systématique une procédure d’hémostase conventionnelle.
Commentaires :
Sur le plan méthodologique, cette étude est critiquable puisqu’elle est rétrospective, que les patients perdus de vue sont sortis de l’étude et que ce sont les interventions qui sont évalués et non les patients. Néanmoins, elle souligne un sur-risque hémorragique chez ces patients traités par AOD dans les conditions de l’étude. Il convient de confirmer ces résultats par des études méthodologiquement mieux construites. En conclusion, les auteurs suggèrent de répartir le nombre d’avulsions à réaliser sur plusieurs séances de manière à minorer le sur-risque hémorragique. Mais dans la mesure où la moitié des accidents hémorragiques a été enregistrée lors d’avulsions unitaires, on peut se questionner sur le bien fondé de ce conseil. En revanche, on ne peut qu’approuver celui de suivre ces patients par contact téléphonique quotidien pendant plus d’une semaine. Enfin, cette étude souligne la nécessité de recommandations de bonne pratique en la matière ce que vient de produire la Société Française de Chirurgie Orale (www.societechirbuc.com)
Dental implants in patients at high risk for infective endocarditis : a preliminary study
Findfer M, Chackartchi T et Regev E.
Int J Oral Maxillofac Surg 2014, 43 : 1282-85.
Résumé :
La pratique de l’implantologie orale est contre-indiquée chez tout patient à haut risque d’endocardite infectieuse (EI) (sauf chez les britanniques rejoints récemment par les suédois). En revanche, certaines procédures chirurgicales orales sont réalisables chez les mêmes patients avec une antibioprophylaxie appropriée, comme les avulsions dentaires par exemple. De plus, il semble que la bactériémie induite par une procédure chirurgicale implantaire soit de moindre importance que celle générée par une avulsion dentaire. Dès lors, les auteurs se posent la question de la faisabilité d’une chirurgie implantaire chez ces patients. Il s’agit d’une étude rétrospective concernant la mise en place d’un ou plusieurs implants dentaires (57 au total en 16 interventions, toutes en deux temps chirurgicaux) chez 13 patients à haut risque d’EI par plusieurs praticiens. Une antibioprophylaxie était mise en œuvre pour chacune de ces procédures chirurgicales (2 gr d’amoxicilline 1 heure avant l’intervention puis 1,5 gr par jour pendant 5 jours. Le traitement antithrombotique n’a été interrompu que chez 2 patients pendant 3 jours. Une antisepsie préopératoire systématique (chlorhexidine 0,2%) a été mise en œuvre. Le suivi s’étale sur des périodes de 2 à 18 ans. Aucun cas d’EI n’est à déplorer et 2 échecs implantaires sont rapportés chez le même patient. 2 accidents thrombotiques sont rapportés, le premier 14 jours après l’arrêt temporaire du traitement antithrombotique, le second 6 mois après. Aucun accident hémorragique n’est enregistré.
Commentaires :
Cet article est plus un rapport de cas qu’une véritable étude puisqu’aucune analyse statistique ne peut en être inférée et qu’il existe de nombreux biais méthodologiques. Il est à remarquer que les auteurs n’appliquent pas la procédure d’antibioprophylaxie monodose en une prise unique pré-chirurgicale. De plus, le niveau d’hygiène et l’indice de plaque ne sont pas renseignés. Le rôle de l’antisepsie pré-opératoire est souligné à juste titre par les auteurs. Une étude prospective visant à évaluer le risque d’EI chez des patients à haut risque candidat à des implants dentaires reste donc à entreprendre. Néanmoins, ce rapport de cas entrouvre une porte. Mais, pourquoi s’appesantir sur une étude de cas, publiée il y a déjà 2 ans ? Tout simplement car c’est sur cette seule étude que s’est basé la société européenne de cardiologie pour ne plus contre-indiquer les implants dentaires chez les patients à haut risque d’endocardite infectieuse, en novembre dernier. Même si cette recommandation peut s’avérer légitime dans l’avenir, aujourd’hui il paraît très surprenant de lever cette contre-indication implantaire sur la seule foi de ce rapporte de cas. Sans la remettre en question, il conviendra d’encadrer cette pratique par des recommandations de bonne pratique pluridisciplinaires (cardiologues, infectiologues, chirurgiens dentistes). Ces recommandations sont en cours d’élaboration sous l’égide de plusieurs sociétés scientifiques dont la Société Française de Chirurgie Orale.