Revue de littérature Société Française de Chirurgie Orale
(Philippe Lesclous décembre 2013)
A ce jour, il n´existe toujours pas de biomarqueur fiable du risque d´ostéonécrose des maxillaires associée aux bisphosphonates.
La recherche d´un marqueur prédictif du risque d´ostéonécrose des maxillaires associée aux bisphosphonates (ONMBPs) est une préoccupation majeure depuis plusieurs années. Dès 2007, Marx R.E. et coll. avaient suggéré en conclusion d´une étude rétrospective non contrôlée l´utilisation du télépeptiqde C-terminal de dégradation du collagène de type I, le CTX, comme biomarqueur fiable. Hélas, d´autres études beaucoup mieux menées sur le plan méthodologique vinrent invalider bien vite cette proposition. Cette étude cas-contrôle prospective cherche à investiguer la prédictibilité de biomarqueurs connus pour être représentatif du remodelage osseux, tant du côté de la résorption, CTX, NTX (télépeptiqde N-terminal de dégradation du collagène de type I), DPD (déoxypyrydinoline) que du côté de la formation osseuse, BAP (phosphatase alcaline spécifique osseuse ), OC (ostéocalcine) et PTH (parathormone), comme facteur de risque d´ONMBPs.
Le groupe ONMBPs est constitué de 37 patients traités ou ayant été traités par bisphosphonates (BPs) atteints d´ONMBPs. Le groupe de patients contrôles traités par BPs sans ONMBPs est apparié en nombre, selon le sexe et l´âge. Les patients traités par radiothérapie ont été exclus pour éviter toute confusion avec une ostéoradionécrose. Les principaux facteurs de comorbidité osseuse (diabète, corticothérapie en cours, obésité, insuffisance rénale, chimiothérapie en cours) ainsi que les caractéristiques cliniques des ONMBPs sont enregistrés. Les prélèvements sanguins et urinaires servant aux dosages des différents facteurs sont réalisés au moment du diagnostic d´ONMBPs et lors de chaque visite de contrôle clinique.
35 des 37 patients atteints d´ONMBPs sont traités par BPs pour ostéoporose, les 2 autres pour métastases osseuses. Aucune différence significative n´est retrouvée entre les deux groupes concernant les facteurs de comorbidité et la durée de traitement par BPs. Hormis le taux de PTH plus élevé chez les patients atteints d´ONMBPs, aucune différence significative n´est identifiée concernant tous les autres facteurs explorés. Cependant la spécificité et la sensitivité du test de détection de la PTH utilisé dans cette étude sont trop faibles pour pouvoir considérer cette faible différence comme pertinente.
Cette étude bien menée sur le plan méthodologique, certes sur un faible nombre de patients, vient donc confirmer qu´à ce jour, aucun des biomarqueurs les plus couramment utilisés dans l´exploration du remodelage osseux ne constitue un facteur prédictif fiable du risque de survenue d´ONMBPs et certainement pas le CTX encore trop souvent cité dans nombre de publications généralistes dentaires. D´autres biomarqueurs osseux encore du domaine de la recherche clinique tel le facteur de croissance vaso-endothélial (VEGF) ou la phosphatase acide tartrate résistante ostéoclastique (TRACP) devraient être prochainement explorés dans ce contexte.
Pour en savoir plus : Jin-Woo et al. : Prospective biomarker evaluation in patients with osteonecrosis of the jaws who received bisphosphonates. Bone 57 : 201-205, 2013.
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Une inflammation d’origine dentaire, ici une parodontite apicale aiguë, pourrait induire une ostéonécrose des maxillaires associée aux bisphosphonates en l’absence de tout geste chirurgical.
Les ostéonécroses des maxillaires associées aux bisphosphonates (ONMBPs) sont majoritairement décelées après une intervention chirurgicale bucco-dentaire intéressant le tissu osseux, le plus fréquemment des avulsions dentaires. Bien que la physiopathologie de cette affection reste obscure, l’inhibition du remodelage osseux représente un point crucial de sa physiopathogenèse.
L’ONMBPs est une pathologie complexe impliquant des interactions entre différents tissus, muqueux et osseux et de multiples types cellulaires dans un contexte de cicatrisation perturbée, d’infection locale et souvent de pathologies systémiques importantes. Pouvant constituer des facteurs de comorbidités non négligeables. Quelques modèles animaux sont utilisés pour reproduire cette pathologie afin d’en disséquer le mécanisme et d’en inférer un traitement le plus approprié possible. La plupart d’entre eux impliquent une extraction dentaire chez des animaux traités à haute dose de bisphosphonates (BPs) par voie IV en présence d’une corticothérapie concomitante.
Néanmoins, chez l’homme, un nombre non négligeable d’ONMBPs survient en l’absence de tout geste chirurgical intéressant le tissu osseux. Récemment, des modèles animaux de parodontite, sans aucune avulsion dentaire, traités par haute dose de BPs ont montré des lésions mimant une ONMBPs, soulignant ainsi l’importance d’un phénomène inflammatoire local dans sa physiopathogenèse. Partant de ce fait, cette étude cherche à investiguer ce rôle inflammatoire local en ayant recours cette fois-ci à un modèle murin de parodontite apicale aiguë par exposition pulpaire d’une molaire mandibulaire pendant 7 semaines chez des animaux traités par BPs (acide zolédronique IV) à haute dose, en l’absence de tout geste opératoire intéressant le tissu osseux. Cette haute dose de BPs est un facteur limitant de cette étude puisque l’équivalent de 2 ans de traitement chez l’homme est utilisé en 8 semaines chez ces animaux.
L’importance des lésions péri-apicales est quantifiée par analyse microscanner. Un groupe d’animaux non traité par BPs sert de contrôle « sain ». De plus au sein de chacun des 2 groupes, le côté opposé à celui où la pulpe molaire a été exposée sert de témoin. L’ostéonécrose est identifiée et quantifiée en histologie comme étant une zone de tissu osseux dénuée de toute population ostéocytaire. Les résultats objectivent des lésions péri-apicales plus importantes chez les animaux contrôles non traités par BPs que chez leurs homologues traités alors qu’aucune différence significative n’est notée au niveau des dents témoins saines. Les analyses histologiques montrent des zones de nécrose osseuse plus importantes du côté des dents atteintes et nettement plus importantes chez les animaux traités par BPs. 6% des animaux traités par BPs montrent même une exposition intra-orale du côté lingual de la dent atteinte.
Cette étude montre donc que des lésions mimant des ONMBPs peuvent survenir dans des conditions inflammatoires sans aucun geste osseux confirmant ainsi les résultats observés dans des modèles animaux de maladie parodontale. Il s’agit d’une avancée majeure dans la physiopathogénie de l’ONMBPs. Bien d’autres résultats figurent dans cette très belle étude.
Pour en savoir plus : Kang et al. : Periapical disease and bisphosphonates induce osteonecrosis of the jaws in mice. JBMR 28 : 1631-1640, 2013.