SFCO

Revue de littérature - Février 2014

Effects of gustatory nerve transection and/or ovariectomy on oral capsaicin avoidance in rats.

Boucher Y, Simons CT, Carstens MI, Carstens E. Pain. 2014 Jan 24. pii: S0304-3959(14)00041-4. doi: 10.1016/j.pain.2014.01.020. [Epub ahead of print]

Les stomatodynies (burning mouth syndrome en anglais) sont des douleurs buccales chroniques dont l’incidence est plus élevée chez les femmes en périménopause et qui pourrait être liée à des lésions nerveuses gustatives. Les auteurs de l’étude ont testé les effets de la lésion bilatérale de la corde du tympan (CT), accompagnée ou non d’une ovariectomie, à l’aide du test d’aversion à la capsaïcine chez la ratte.
Ils ont ensuite quantifié l’expression de la protéine Fos après stimulation linguale nociceptive à la capsaicine. Les animaux avaient un accès limité à des solutions contenant de la capsaïcine à différentes concentrations (0,33-33μmol/L) vs véhicule. La consommation a été évaluée à la fois par le volume de liquide ingéré et le nombre de léchées. L’aversion a été testée avant et 0,5 , 3 , 6 , 9 et 12 mois après les interventions chirurgicales suivantes : 1) section bilatérale de la corde du tympan (CTx); 2) ovariectomie (Ovx) ; 3) CTx + Ovx ou 4) intervention sham. Avant chirurgie, la consommation de capsaïcine était négativement corrélée à la concentration de capsaïcine, avec un seuil situé entre 0,1 et 0,3 ppm.
La majorité des léchées survenaient lors des premières 9 minutes d’exposition. Globalement sur la période de 12 mois, le groupe CTx ne montrait pas de diminution de la consommation de capsaïcine sauf à 6 et 9 mois pour certaines concentrations. Les rats du groupe Ovx évitaient toujours la capsaïcine ; ils présentaient de plus une immunoréactivité c-Fos évoqué par la capsaïcine dans le sous-noyau caudal de trijumeau dorsomédial ( Vc ) plus élevée que celle de tous les autres groupes traités. Que la CTx , avec ou sans Ovx , n’augmente pas l’aversion pour la capsaïcine indique que des dommages du système gustatif ne désinhibent pas la transmission nociceptive trigéminale.

Commentaires

Les mécanismes étio-pathogéniques des stomatodynies qui mêlent souvent des symptômes sensitifs (brûlure) et gustatifs (dysgueusie) restent méconnus. De plus en plus d’arguments plaident pour une origine neuropathique avec composante hormonale.
Les auteurs de cette étude ont voulu tester l’hypothèse trigémino-gustative qui postule une inhibition tonique du système gustatif sur les inputs nociceptifs trigéminaux. Les résultats des lésions gustatives sélectives sur la consommation de capsaïcine et de l’expression du marqueur nociceptif c-fos contredisent cette hypothèse. Une partie de l’intérêt de ces données tient à la durée des observations, 12 mois, ce qui est long chez le rat. Ils confirment par ailleurs des études précédentes de la même équipe réalisés cette fois en aigu.
Il est également intéressant de remarquer que l’ovariectomie utilisée pour modéliser les effets de la ménopause, diminue les seuils de sensibilité douloureuse buccale chimique, ce qui concorde avec les données cliniques. Ces données sont en revanche difficiles à transposer en clinique humaine car le test à la capsaïcine utilisé chez l’animal n’est pas pleinement validé chez l’Homme (ou plutôt la Femme) pour la stomatodynie.

 

Utilisation chronique d’opioïdes avant et après une chirurgie bariatrique

Par Vianney Descroix (Consultation douleur orofaciale chronique – Service d’Odontologie CHU Pitié Salpêtrière Paris)

Article commenté

Chronic use of opioid medications before and after bariatric surgery. Raebel MA, et al. JAMA. 2013 Oct 2;310(13):1369-76.

L’obésité est associée à des douleurs chroniques non cancéreuses. Peu de données existent concernant l’évaluation de l’intérêt de la chirurgie bariatrique sur la consommation d’opioïdes chez les patients obèses souffrant de douleur chronique.

Objectifs de l’étude : Etudier les modifications d’utilisation d’opioïdes à la suite d’une chirurgie bariatrique chez des patients obèses qui avaient déjà recours avant la chirurgie aux opioïdes de façon chronique pour le traitement de la douleur et déterminer l’effet de la dépression préopératoire, de la douleur chronique, ou des variations postopératoires de l’IMC sur les changements de la consommation d’opioïdes.

Résultats
Avant la chirurgie, 8 % (IC à 95%, 7% – 8 %, n = 933) des patients obèses étaient des usagers chroniques d’opiacés. Parmi eux, 77 % (IC 95%, 75 %-80 %, n = 723) ont poursuivi un usage chronique d’opiacés dans l’année suivant la chirurgie. Avant la chirurgie, la consommation moyenne en équivalent de morphine des patients usagers chroniques étaient de 45,0 mg par jour (IC à 95%, de 40,0 à 50,1) et de 51,9 mg (IC à 95%, de 46,0 à 57,8) après l’opération (P < 0,001). Chez ces patients il n’a pas été retrouvé de différence concernant une modification de consommation d’opioïdes selon que les patients avaient perdus plus de 50 % de l’excès d’IMC vs ceux ayant perdu 50% ou moins. Dans les autres sous-groupes analysés il n’a pas été retrouvé de différence significative concernant les doses équivalents de morphine avant vs après la chirurgie en fonction de la présence ou non chez les patients d’un diagnostic préopératoire de dépression et/ou de douleur chronique (dépression seule [ n = 75 ; ratio du taux d’incidence (IRR) , 1,08 ; IC 95% , 0.90 -1,30 ] ; douleur chronique seule [ n = 440 ; IRR , 1,17 , IC 95% , 1.8 à 1.27 ] ; dépression et douleur chronique [ n = 226 ; IRR , 1.11 , IC 95% , 0,96 à 1,28 ] , ni dépression ni douleur chronique [ n = 192 ; IRR , 1,22 , IC 95% , 0,98 à 1,51 ).

Cette étude met en exergue deux situations de plus en plus fréquentes d’une part l’obésité et d’autre part l’utilisation d’opioïde dans des douleurs chroniques non cancéreuses. Alors que les auteurs s’attendaient à ce que la perte de poids fasse diminuer la symptomatologie douloureuse et donc diminuer la consommation d’opioïdes, c’est bien l’inverse qu’ils ont observé.
Les auteurs concluent, à juste titre, en suggérant un besoin important de mieux prendre en charge la douleur de ces patients. Ils confirment également, si il le fallait, que les déterminants conduisant à l’arrêt ou à la poursuite d’un traitement par opioïdes dans les douleurs chroniques non cancéreuses sont complexes et multifactoriels et qu’ils vont bien au-delà de l’expérience douloureuse et inclus, entre autre, des facteurs fortement liés aux patients et à leurs médecins.
Plus généralement, cette étude pointe du doigt l’importance de mieux cerner quand et comment il convient de diminuer ou d’interrompre en toute sécurité et efficacement le traitement par opioïde des patients souffrant de douleur chronique.