Revue de littérature Janvier 2018. Pr. Laurent Devoize
Maladie hépatique et tissu dentaire : ou comment en détectant les caries on peut surveiller la fonction hépatique !
Rogerio VE, Bruzadin L, Toma RK, Bizeto MA, Mugayar L, Jun Koh IH. The tooth as a monitor of cholestatic liver disease in rats. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol. 2017;123(2):188-93.
Résumé :
Afin d’améliorer le suivi de patients atteints d’une maladie hépatique cholestatique, une méthode non invasive en temps réel pour apprécier les dépôts de bilirubine et la progression de la maladie serait d’une grande d’aide. Ces patients sont habituellement soumis à des prélèvements sanguins multiples par ponction veineuse pour suivre la progression de leur maladie.
DIAGNOdent est, à l’origine, un dispositif d’aide au diagnostic de la présence de caries basé sur la détection de la porphyrine issue du métabolisme bactérien, en utilisant la fluorescence laser. Cet équipement émet un laser à une longueur d’onde de 655 nm qui interagit avec la porphyrine, et la fluorescence provenant de cette interaction est mesurée quantitativement. Plus la concentration de porphyrine est élevée, plus les valeurs de fluorescence obtenues sont élevées. Or il existe aussi une interaction entre cette émission laser et la bile, qui est également mesurable quantitativement.
Cette étude a été conçue pour vérifier si le tissu dentaire serait perméable à la bilirubine, dans une situation expérimentale dans laquelle on observerait une augmentation progressive de bilirubine sérique, et de vérifier la validité de l’utilisation du DIAGNOdent pour le suivi.
Après avoir confirmé la capacité de DIAGNOdent à mesurer des concentrations biliaires variables in vitro, un modèle animal de maladie hépatique cholestatique a été mis au point pour détecter une augmentation de l’imprégnation de la bilirubine dans les dents de rats. 3 groupes de rats Wistar ont été étudiés: groupe 1, rats soumis à une ligature des canaux biliaires après laparotomie; groupe 2, rats naïfs sans procédure; et groupe 3, rats soumis à une laparotomie sans ligature des canaux biliaires. Les dents des rats des 3 groupes ont été analysées à l’aide de DIAGNOdent avant la procédure et à J 10 et J 50 après la chirurgie. La bilirubine sérique a également été mesurée.
Les tests in vitro ont confirmé que DIAGNOdent détectait la bile en fonction de sa concentration. Le modèle de ligature a bien entrainé un dysfonctionnement hépatique progressif, la mort survenant environ 50 jours plus tard. Les valeurs de DIAGNOdent obtenues sur les dents ont montré une corrélation avec la progression de l’hyperbilirubinémie sérique.
Commentaires :
Examiner la dent pour surveiller une maladie systémique serait un concept nouveau et intéressant dans la pratique clinique, les dents étant facilement accessibles et « analysables optiquement». Certaines études ont déjà montré que la modification de l’aspect des dents pouvait être un indicateur clinique de l’évolution péjorative de certaines maladies hépatiques, comme l’apparition de taches verdâtres. La rareté des études sur ce sujet a probablement résulté de limites technologiques du matériel de diagnostic. Les progrès actuels en Odontologie incorporent de plus en plus de nouvelles technologies, notamment dans le domaine de l’analyse optique.
Les résultats de cette étude sont encourageants, le tissu dentaire s’étant avéré être un bon tissu pour surveiller de manière non invasive la progression de la bilirubinémie dans ce modèle de maladie hépatique cholestatique. Le passage à une application chez l’homme est encore lointain, mais ce type d’étude ne fait que renforcer encore la transformation des chirurgiens dentistes en médecins de la bouche.
Existe t’il un lien entre maladie parodontale et migraine ?
Leira Y, Ameijeira P, Domínguez C, Leira R, Blanco J. The role of leptin as a biomarker in the relationship between periodontitis and chronic migraine. J Clin Periodontol. 2017 Sep 18.
Résumé :
La migraine est une maladie dont la prévalence est d’environ 12% dans la population générale. Elle est considérée comme une cause importante d’invalidité dans le monde en raison de son fort impact à la fois personnel et socio-économique. Deux types principaux de migraine existent : la migraine épisodique et la migraine chronique. Alors que la migraine épisodique est définie comme une crise de migraine survenant moins de 15 jours par mois, la forme chronique se caractérise par des céphalées survenant plus de 15 jours par mois pendant au moins 3 mois. Bien que les mécanismes exacts impliqués dans la pathogenèse de la migraine restent incertains, la dépression corticale et l’activation de la voie trigémino-vasculaire avec libération de plusieurs marqueurs pro-inflammatoires sont quelques-unes des hypothèses proposées pour expliquer l’apparition de la maladie.
Les résultats d’une étude ont montré que les taux sériques de leptine (hormone / cytokine dérivée des adipocytes, qui s’exprime au cours de l’inflammation et de l’infection) sont augmentés chez les patients migraineux chroniques (après ajustement avec l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle). De plus, les sujets qui souffrent de parodontite ont des niveaux plus élevés de leptine sérique par rapport aux individus en bonne santé parodontale.
Cette étude avait deux objectifs: premièrement, de comparer la prévalence de la parodontite chez les patients diagnostiqués comme migraineux chroniques avec un groupe témoin sans migraine; et deuxièmement, de déterminer si la présence d’une parodontite était associée à des niveaux plus élevés de leptine dans le groupe migraineux chronique.
Les résultats ont effectivement montré que la prévalence de parodontite et les taux sériques moyens de leptine étaient significativement plus élevés chez les patients atteints de migraine chronique que chez les témoins (57,6% vs 36,2%, p = 0,01 et 16,4 vs 7,2 ng/mL, p <0,0001, respectivement). Les patients du groupe migraineux chronique qui ont une parodontite ont des concentrations de leptine significativement plus élevées que les patients migraineux chroniques sans parodontite (19,8 contre 11,8 ng/mL, p <0,0001). Enfin, l’analyse multivariée en régression linéaire a montré que la présence d’une parodontite était un contributeur indépendant à des niveaux de leptine élevés chez les patients migraineux chroniques (R2 = 0,270, p = 0,013).
Commentaires :
Cette étude montre que la maladie parodontale est prévalente chez les patients migraineux chroniques et que lorsqu’elle est présente, elle contribue à des niveaux élevés de leptine sérique, indépendamment des autres facteurs confondants. Par conséquent, il semble que la maladie parodontale, via la leptine, pourrait être impliquée dans le processus de la chronicisation de la migraine.
Le rôle délétère de la leptine n’est également pas nouveau, notamment dans la pathogénèse de certaines maladies cardio-vasculaires : l’hypothèse a déjà été émise que l’augmentation de la concentration sérique de leptine jusqu’à 10 ng/ml pourrait être considérée comme un facteur de risque de maladie cardiovasculaire. Selon ces études, une augmentation des taux sériques de leptine due à la présence d’une maladie parodontale pourrait jouer un rôle dans la déstabilisation de la plaque d’athérome et la survenue d’un infarctus du myocarde/AVC.
On sait que la parodontite peut être traitée efficacement et que la thérapie parodontale a comme conséquence une baisse des taux sériques de leptine. Il serait donc désormais intéressant de suivre ces patients migraineux chroniques et de voir l’évolution de leur état en fonction de la réponse au traitement parodontal.